Japon 2023 – Épisode 1

La mise dans le bain a été rapide : avion qui atterrit à 6h, premier cours avec Shirashi Sensei à 9h. Entre les 2, l’agglomération tokyoïte à traverser avec une valise de 20kg. Heureusement, j’ai retrouvé mes marques assez vite, et j’avais au préalable contacté Joshua qui m’avait renseigné sur les horaires des cours.
Et puis surtout, joie de revenir au Japon et de retrouver la douceur de l’air ambiant qui me met du baume au cœur!
Arrivée sur le tatami à 9h15, et Shiraishi Sensei m’accueille avec un grand sourire et me colle immédiatement 3 bonbons dans la main. C’est parti.

Je crois que j’étais la seule à ne pas parler japonais, heureusement que Joshua m’a fait la traduction. Mais, même si les propos sont déjà intéressants, c’est surtout le mouvement de Shiraishi Sensei qui me fascine et me laisse bouche bée.
C’est simple. C’est naturel. C’est éclatant. Tout est coordonné, tout en étant doux et libre. Si un écart est créé, c’est pour mieux attirer l’attention de Uke et lui faire perdre (oublier ?) son équilibre.

Le 1er mouvement qu’il nous a montré est une sorte de base pour travailler Chi no Kata. Face à Uke qui ne bouge pas (NB : ça marche aussi avec un rouleau de paille si on veut refaire à la maison), on fait :

  1. J’avance un peu la main droite, en reculant le pied gauche.
  2. Mon bras droit continue à monter, je me pose dans ma jambe gauche.
  3. Changement de pied, mon pied droit vient à hauteur du pied gauche, qui tombe en avant et engage la frappe avec tout le corps et tout le bras gauche.

Et maintenant je vais essayer de rentrer dans les détails. Je n’ai pas compris l’étape 1, déjà.

Quand Shiraishi Sensei m’a montré la technique, ( = quand je m’appliquais à être un bon rouleau de paille), et qu’il était face à moi, j’ai vu qu’il faisait un angle très précis et subtil : c’est comme si tout son corps fondait, mon regard se met à zoomer automatiquement sur la main qu’il avance vers moi. Un peu comme quand on a un couteau et qu’on le dissimule derrière son bras, sauf que là, c’était tout son corps qui « disparaissait » derrière cette main qu’il m’offrait au regard.
Bref, j’ai essayé de trouver cet angle, et je n’ai pas compris comment faire.

Après il y a eu quelques variantes, par exemple : sur l’étape 2, le doigt de la main qui est vers Uke va pointer vers le bas. Ou vers la gauche. L’attention est emmenée encore un peu plus loin de là où se passe l’action véritable, à savoir les pieds. Ou du moins, ça permet de préparer tranquillement les étapes suivantes. Car jusque-là, tout va bien, j’en suis persuadée.
Et là, de nulle part, la frappe surgit. Ai-je besoin de préciser que ça envoie comme un boulet de canon, alors qu’il ne m’a pas touché ? (un cri m’a échappé, j’ai été recalée comme rouleau de paille…)

Petite pause, puis 2e mouvement. Cette fois-ci, Uke saisit Tori à 2 mains, et au moment où la saisie arrive, Tori va faire un pas en arrière (G), un pas en arrière (D), en faisant ouvrir les coudes de Uke et en l’amenant sur la pointe des pieds, puis le pied (G) s’avance vers l’appui gauche de Uke pour amener l’épaule de Tori à se poser sur celle de Uke et on enveloppe délicatement son bras. Un dernier pas en arrière, en relâchant à l’intérieur (« sink ») et on dépose ça au sol.

Le fait d’être déjà en train de marche, au moment où Uke saisit, était un des points importants. Ça contribue à ce que Uke soit en train de chercher son équilibre, ça laisse Tori en maîtrise du rythme, tranquillement : pas pour imposer son tempo, mais plutôt pour laisser cet espace de disponibilité où Uke va pouvoir venir … tomber.

Puis les variantes : on peut rentrer l’épaule un peu fort, comme si on voulait dégommer la mâchoire de Uke, t on profite de son mouvement de recul pour faire un Omote Gyaku sur son bras. Puis on peut, après avoir envoyé l’épaule, remettre un shutô avec la main droite en refaisant un pas en diagonale avant avec le pied droit.
On peut aussi profiter du fait que Uke a la tête en arrière pour switcher les bras, Tori passe son bras droit sous le ras gauche de Uke, et hop ça fait un Ganseki Nage.
Ou alors on prolonge le shutô avec un Onikudaki.

A parti d’une même graine, celle du déséquilibre de Uke, peuvent émerger toutes les techniques : elles seront l’adaptation juste à la situation unique qui se présente, aux ouvertures des corps à l’instant T et à leur interaction.

Encore une petite pause, où le petit caramel offert en début de cours fait des miracles pour me garder éveillée.

3e mouvement, avec un Uke qui attaque en Tsuki. On accueille le mouvement en reculant légèrement et en sortant côté Ura (contact des mains en 3 petites touches très légères), prolongeant le mouvement de Uke tout en l’amenant vers le bas, jusqu’à ce qu’il se retrouve avec le bras tendu quasiment entre ses propres jambes. J’ai testé pour vous : ça fait tomber les fesses en arrière, sans trop comprendre comment on en est arrivé là.

Puis une variante, même accueil du mouvement de Uke mais la main droite de Tori revient vers son visage, le déséquilibrant vers l’arrière. L’attention de Uke est encore en avant, quelque part avec son bras droit, mais Tori est déjà remonté se placer derrière l’épaule droite, parfaitement placé pour accompagner le déséquilibre.
Tout ça en marchant, tranquille, et en souriant. Du bonheur.

Des moments où il parlait, j’ai retenu 2 choses :

Si l’on s’entraîne, il faut d’abord que ce soit pour soi-même. Les autres « grandes causes » (servir son pays, protéger les siens…) se développeront naturellement à partir de ce chemin. Mais, en premier lieu, s’entraîner pour soi seul.

Devenir plus fort, c’est devenir une meilleure personne. Dans son corps, dans sa tête, dans son cœur. C‘est pour cela qu’on cherche comment améliorer graduellement, pas à pas, chacun de ces aspects. C’est la philosophie proposée par Shiraishi Sensei.

Ce dernier point fait écho à des choses que je l’avais entendu dire dans d’autres cours, les années passées : si chaque jour, à chaque entraînement, je m’applique à capter une petite amélioration, une itération pour rendre mon geste un peu meilleur… Alors le résultat au bout de quelques années sera forcément intéressant.
On ne parle pas ici des réussites éclatantes, des techniques spectaculaires, mais plutôt d’un polissage régulier et quotidien. C’est l’attention portée aux gestes élémentaires, aux choses « banales », qui fait naître avec le temps ce raffinement simple. Présent.

Depuis mon arrivée je joue avec l’idée des fractales, ces motifs qui gardent la même organisation même si on les regarde à des échelles très différentes. Un électron qui tourne autour d’un noyau d’atome, une planète qui tourne autour d’une étoile : le niveau de zoom est différent mais le pattern est similaire.
Ou dans les branches d’arbre ou les vaisseaux sanguins : des tuyaux, qui se divisent en plusieurs tuyaux, qui se divisent en plusieurs tuyaux…
Je m’amuse à penser que notre attention nous permet de zoomer sur un instant, l’étendre démesurément, le rendre aussi important qu’une journée entière. Marcel Proust a écrit des pages et des pages sur la fois où il mangé une madeleine, et ça lui a pris sûrement plus de temps d’écrire tout ça que de la manger : l’attention portée au moment l’a démultiplié, et en l’occurrence, en a fait quelque chose de tangible pour les humains qui ont suivi (et qui ont eu assez de motivation pour s’aventurer dans ces phrases qui tiennent en équilibre sur 20 lignes).

Bref : en consacrant notre attention pleine et entière sur un mouvement, sur un instant, en veillant à le vivre en pleine conscience, on lui donne la possibilité de changer toute notre façon de bouger. On le rend important. On agit sur une échelle qui nous semble très réduite, mais qui va faire écho dans toutes les structures connexes, en résonance.

Donc, faire un pas, juste, et améliorer sa vie entière.

Sur ce, je vous laisse, je vais voir si je trouve l’illumination dans mon prochain mochi.

Bisous !

Julia

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