Article à 3 voix // Episode à 3 pétales
Rémi :
Premier cours avec Shiraishi Sensei, qui m’accueille avec un immense sourire et une poignée de main. Ses cheveux ont blanchi depuis 2019, mais sa bonne humeur et son enthousiasme sont toujours aussi présents. Les autres élèves arrivent au fur et à mesure. Nous sommes peu nombreux, et Shiraishi Sensei nous distribue, comme à son habitude, des bonbons avant de commencer.
Je commence l’entraînement avec un élève japonais, qui est d’une légèreté et d’une fluidité déconcertantes, tant dans ses déplacements que dans ses contacts. Shiraishi Sensei nous répètera pendant tout le cours qu’il nous fait travailler les bases du ninjutsu, et que c’est en travaillant ces bases que les techniques émergeront (traduction libre).
Donc, travail de posture, de déplacement et de prise d’équilibre.
Il nous fait commencer par un premier exercice de déplacement, qu’il nous avait déjà fait travailler lors de mon dernier séjour et qui m’avait paru terriblement complexe. Il me parait toujours complexe, mais pas de la même manière. Il y a 4 ans j’essayais de faire quelque chose sur Uke, et j’avais du mal à prendre son équilibre ; aujourd’hui le défi est de maintenir ce déséquilibre en restant droit, avec moi-même, à ressentir comment bouge le corps de l’autre. Shiraishi Sensei, lui, nous répète que c’est simple. « So easy ! »
Ensuite il nous montre qu’à partir de cet exercice, une fois le déséquilibre d’Uke obtenu, on peut réaliser à peu près n’importe quelle technique. En effet, à partir de cet exercice de base, il remplace la chute de Uke par Omote Gyaku, Ura Gyaku, Musha Dori, etc… démontrant bien que ce qui importe n’est pas la technique / la forme, mais le déséquilibre. Le déséquilibre qu’il faut obtenir, maintenir, tout en restant soi-même stable et ancré.
Petite pause, on mange les bonbons distribués en début de cours, puis on ré-attaque.
Shiraishi Sensei illustre Sui no Kata, en partant de Kosei no Kamae, et nous montre diverses variations :
- Sur l’exercice de base, il bloque avec le bras gauche et contre-attaque avec le bras droit.
- 1ère variante : le bras gauche vient frapper Uke à la gorge, contre-attaque avec le bras droit.
- 2e variante : le bras gauche passe devant les yeux de Uke, contre-attaque avec le bras droit.
Bref, de multiples manières d’obtenir un Uke léger et conciliant, pour le plier aisément dans un Onikudaki.
Légère perturbation du cours : Damien arrive directement de l’aéroport, après un interminable parcours du combattant ; il se met en tenue et saute sur le tatami.
On reprend l’exercice de base de début de cours pendant quelques minutes, pour ensuite clôturer cette session.
Ce que je retiens du cours, c’est le contrôle que Shiraishi Sensei exerce sur Uke en permanence. Il contrôle son équilibre, son attention, son espace. Il est là, pleinement, il marche, et Uke tombe.
Je retiens aussi son économie de mouvement : Shiraishi Sensei bouge très peu, on a plus l’impression qu’il fait bouger Uke autour de lui.
Je pourrais continuer à en parler pendant des heures, mais pour ressentir cette ambiance, ce qui se dégage de Shiraishi Sensei, le meilleur moyen reste de venir le rencontrer soi-même.
Julia :
Les amis, ça fait 24h que je me creuse la tête pour trouver quelque chose à dire sur ce cours. Non pas qu’il ne se soit rien passé, au contraire. J’ai vécu des choses. Mais mon cerveau « verbal » a du mal à le retranscrire (et pourtant, vous l’avez remarqué, j’aime bien poser des pavés). Ou alors… je n’ai rien compris. Probablement les deux.
Si je vous fais la liste des techniques qu’on a fait, ça ne sera qu’une liste d’infos creuses. Si je vous dis qu’on a fait un pas, puis un 2e pas, ça crée le déséquilibre, on fait du « foot-spine-hand »… Ca ressemble à ce qu’on fait au dojo chaque semaine et vous allez peut-être rester sur votre faim.
Shiraishi Sensei nous montre un truc, c’est tout simple et fluide. Il va lentement, faisant même des pauses, pour nous donner une chance de voir et de comprendre ce qu’il fait ; mais même quand il suspend son mouvement, ça ne donne pas la sensation qu’il s’arrête. Il n’applique aucune force, mon corps s’envole (contrairement à ma tête, mon corps semble avoir une idée de ce qu’il se passe ???).
Et ça n’a pas l’air compliqué !
…
J’y comprends rien.
Même les rares fois où, par un mélange d’application et de heureux hasard, j’arrive à faire tomber mon Uke en ayant à peu près suivi le même cheminement de petits pas et de touches légères, Shiraishi Sensei me regarde avec un grand sourire et 2 pouces en l’air en me félicitant… Eh bah même là, j’ai toujours l’impression d’avoir rien compris.
Il nous remontre, inlassablement.
« So simple ! You can do it ! ». Grand sourire, 2 pouces en l’air.
Et je ne comprends pas.
Sur le papier c’est la même chose, faire un pas, poser la main là, regarder de l’autre côté, lever un peu ce bras-ci. Hop. Et pourquoi c’est aussi différent, selon la personne qui le fait ? Pourquoi est-ce que, quand c’est lui, j’ai la sensation d’être soulevée par une vague immense, sans jamais le sentir comme une agression ?
A un moment il nous a évoqué, brièvement, les cours avec Hatsumi Sensei. Que lui ne montrait jamais 2 fois la même chose, et qu’il fallait donc être entièrement présent pour avoir une chance de capter… quelque chose. L’essence du geste, le détail qui peut tout changer.
Peut-être qu’il faut alors renouveler l’état d’esprit dans lequel on aborde un cours. Que le but n’est pas de tout comprendre, ou de pouvoir refaire toutes les techniques, mais de capter au moins un point qui nous parle, et de le faire vivre.
Dans cette optique-là, on admet qu’on ne « comprendra » sûrement que 5% d’un cours (et encore, les bons jours). Et que notre corps comprendra ce qu’il peut, aussi. Et des fois ces 2 champs de compréhension ne se recouvrent pas forcément, n’avancent pas au même rythme, et ça tangue un peu le temps que ça s’harmonise.
Peut-être qu’en voyant un mouvement fait par quelqu’un d’autre, nos neurones miroirs nous donnent un aperçu de ce que ça peut faire d’être cette personne-là. Et que c’est pour ça que ça nous intrigue autant, que ça nous secoue de voir quelqu’un bouger différemment.
Je crois qu’il ne faut pas chercher à attraper ce qu’on voit avec le mental, avec la structure intellectuelle. Que seul le vivant-mouvant en nous, peut nous redonner le chemin de ce mouvement vivant.
Mais en attendant, je me sens perdue, et il faut bien commencer quelque part. Donc, je commence où je peux, et essaie de laisser une ouverture pour… autre chose.
Et je me sens toujours perdue, mais les mochis aident.
Damien:
Arrivé à Kashiwa après moultes péripéties – suite à un retard de l’avion au décollage à Roissy, j’ai dû attendre à Amsterdam un autre vol de 6h, passant par Dubaï, avec une escale de 3h bien loin de l’ambiance japonaise, et enfin un vol de 9h pour Tokyo, puis trois-quart d’heure de train – après moultes péripéties donc, j’arrive enfin à Kashiwa.
Nous sommes jeudi. J’aurais dû arriver ce matin. Il est 20h.
Il est 20h et le cours de Shiraïshi sensei a déjà commencé et se termine dans 45 minutes.
Ça fait presque 3 jours que je n’ai pas eu de réelle nuit de sommeil, l’appel de la douche est fort, et puis le cours est bientôt terminé, je devrais aller prendre ma chambre à l’hôtel…
Mais l’envie de revoir Shiraïshi Sensei, de retrouver les amis, Julia et Rémi mais aussi japonais et américains, de retrouver le tatami de ce gymnase de quartier à Kita Kashiwa est trop forte : c’est décidé je saute dans un taxi qui m’amène au gymnase en quelques minutes !
Enfin le gymnase, enfin le dojo, chaussures enlevées je dépasse le cours d’aïkido et enfin…
Shiraïshi sensei vient à ma rencontre, les yeux pétillants : « Hello, welcome ! » en me serrant la main chaleureusement.
Julia et Rémi m’accueillent de loin, par une exclamation de joie ; Joshua, le copain américain qui vit sur place (et nous donne régulièrement des nouvelles) me salue d’un geste de la main.
Le bonheur de retrouver tout le monde !
Je voulais demander à Shiraïshi Sensei si je pouvais regarder la fin du cours (il reste vingt minutes), mais il me prend de court : « Join us and train, free class for you tonight ». (« Joins-toi à nous, viens t’entraîner, le cours est gratuit pour toi ce soir »)
Vestiaire, tenue ninja, affaires fourrées dans le sac, valise laissée à l’entrée, je retrouve Shiraïshi qui, malgré son attelle au genou, est venu jusqu’à l’entrée pour voir si j’arrivais.
Il m’explique en anglais : « C’est une façon de faire très simple, par le déplacement on contrôle l’équilibre, et quand l’équilibre est pris on peut faire ce qu’on veut, il n’y a pas de technique, seulement du contrôle ».
Il tend les mains, je le saisis, il recule légèrement le pied droit, ses épaules puis ses mains, je me retrouve sur la pointe des pieds. Il avance le pied gauche, tourne ses épaules puis bouge ses mains, je me retrouve en équilibre précaire sur mes talons, il refait un pas, cette fois vers la droite, pose sa main gauche sur mon bras droit et me guide jusqu’au sol, sans que je puisse rien y faire, comme si la nature en avait décidé ainsi.
Mon corps est fourbu, mon cerveau dans le brouillard, mais l’ukemi est simple, évident, et mon âme exulte de joie. Quel bonheur de retrouver la finesse, la légèreté du toucher de Shiraïshi Sensei…
Il rit, et me fait signe de rejoindre Rémi et Josh pour pratiquer.
Il reviendra vers nous à plusieurs reprises, pour nous montrer des variations, expliquant que, de toute façon, si on déplace d’abord le pied, puis le rachis, puis les mains…tout devient simple, l’équilibre de uke est pris et on peut faire ce qu’on veut.
Et on peut ensuite, si l’on veut, nommer les techniques qui découlent de ce mouvement naturel.
Il me fera même faire les mouvements sur Rémi, en me bougeant le bassin, les épaules et les mains… et un Rémi à terre ! C’est tellement simple… et cependant si difficile.
Difficile de faire simple…
Mais comment est-ce possible, quel est ce mystère ?
Qu’est-ce qui nous empêche de faire simple ??
Sont-ce nos mauvaises habitudes posturales, les tensions et marques laissées dans le corps par notre histoire, nos peurs qui s’expriment et nous poussent à tout contrôler par la force, le besoin de compenser une mauvaise image de soi, les méandres de notre mental… ?
Chacun peut y trouver ses propres réponses.
Ce qui est génial c’est que, par la pratique, nous avons un outil fabuleux pour dépasser tout cela, ou au moins pour réussir à vivre « malgré cela » et retrouver cette simplicité, à laisser s’exprimer notre être profond.
« Train to yourself ».
WordPress:
J’aime chargement…