Le 15/02/2020
Il m’aura fallu trois cours et l’aide attentive d’un de ses senpaï pour comprendre une partie du sens du travail de Shiraishi Sensei, dont l’enseignement quasi ésotérique m’est de très loin le moins accessible. Et puis soudain « clic ». Et comme toujours avec moi, c’est passé par une posture, une sensation et pas du tout par des mots, ou presque.
Mais avant de développer, ou à l’occasion de, je voulais faire l’inventaire aujourd’hui, en toute humilité et par ordre chronologique, de ma compréhension des approches des différents maîtres que j’ai pu rencontrer à l’occasion de ce début de séjour. Mon objectif est de vous donner envie d’aller les voir et de faire comprendre ce qu’il y a de véritablement enrichissant à pratiquer ici. Peut-être malgré moi sentirez-vous certaines préférences mais je pense qu’il est important de se frotter au plus grand nombre pour arriver à se trouver soi-même, une version martiale du sondage Biba de l’été : Quel ninja êtes-vous ? Moi j’ai trouvé, au moins jusqu’au « test ». Au-delà, le chemin est encore trop flou pour que je puisse en parler.
Nagato sensei – Le daymyo vigilant
J’ai eu le sentiment d’être en connexion directe avec la tradition impériale japonaise. Bien plus qu’un samouraï, vous aurez la sensation d’entrer dans la demeure d’un daymyo. Le ton est parfois badin mais l’œil est toujours vif. J’ai apprécié qu’il fasse une pause okuden (enseignement oral) au ton libre :«Est-ce que quelqu’un a une question ?». Comme beaucoup de grands maîtres, il consacre l’essentiel de son énergie aux shidoshi et au-delà (ceux ayant passé avec succès le saki test). Même si c’est un peu déroutant, il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit d’un enseignement de haut niveau. Avoir l’occasion de faire Uke au Honbu Dojo quand on est d’un niveau moindre est déjà riche d’enseignements. Attention, si tu es nouvellement shidoshi, attends-toi à servir d’uke toute la séance mais c’est probablement une chance de ressentir beaucoup en peu de temps.
Nagase sensei – le shinobi érudit
Je n’ai fait qu’un seul cours avec lui. Nagase a été, pour moi, celui qui s’est le plus attaché à décrire le lien entre la pratique et la « tradition ninja » du Bujinkan. Il s’agit d’un athlète hors pair ayant soin de relier chaque geste, chaque garde à l’origine historique, notamment aux différents éléments du Shinobi Shozoku. Ce fut très intéressant d’un point de vue historique, voire un peu folklorique. Extrêmement abordable et joyeux en dehors du tatami, il suscite une ambiance studieuse et concentrée durant ses cours. Il faut être vigilant et attentif car ses interventions vont vites, très vites, et il ne répète que très peu. Il accorde tout de même une certaine attention aux non shidoshi (surtout aux ceintures noires), ce qui en fait un cours intéressant pour les débutants et probablement pour les « pré shihan » (mais là bien sûr je parle sans savoir).
Furuta Sensei – Le magicien philanthrope
Selon moi, Furuta fait le lien entre l’enseignement des maîtres du Bujinkan, plus opératif, et celui de Shiraishi Sensei, plus spirituel. Il est celui dont la pédagogie m’a le mieux correspondu. Sa personnalité particulière amène un humour léger et détendu sur un contenu de cours structurés en échelons progressifs.
On part d’une approche similaire à Nagase, sur la précision des gestes et des postures de manière basique au départ. J’ai été assez décontenancé sur l’aspect chorégraphique et haché (ich ni san chi…) de ses débuts de cours. Puis il passe généralement sur les temps entre les temps, le lien entre chaque temps fort de la technique. Il enchaîne ensuite sur la maîtrise de l’espace, pour revenir sur la gestion des durées…
Ses cours oscillent sans cesse entre l’espace et le temps, tendant vers la fusion des deux lorsqu’il aborde sur la fin des notions plus subtiles de relation, d’énergie et de contraction/libération. J’ai trouvé passionnant le travail sur la perception d’uke de l’espace et du temps, et surtout de comment influer dessus.
Il a à cœur de donner un temps pour chacun des participants, souvent valorisant (un fameux « sososo » approbateur) quand on dépasse un peu nos limites. Il prend le temps de répéter de nombreuses fois et d’expliciter son propos, tout en japonais, mais les gestes et la force de son intention permettent une très bonne compréhension du propos. Je me sens à chaque fois balloté sur la grève par les vagues qui partent de lui, et même intérieurement jeté au sol parfois lorsqu’il « libère » brièvement son potentiel intérieur.
Shiraishi Sensei – En partance pour le divin
Shiraishi Sensei donne l’impression de ne plus tout à fait appartenir à ce monde. Bon enfant, profondément souriant et chaleureux, il offre souvent des bonbons au début de son cours en scandant « good medecine ». La bienveillance est encore plus marquée qu’au cours de Furuta même s’il anime un cours de cherchant : si, comme moi, vous avez du mal à trouver, il vous laissera chercher encore et encore. J’avoue avoir été parfois un peu lassé de répéter en boucle le même mouvement ne percevant même pas ce qu’il fallait chercher. Mais c’était surtout au premier cours, aujourd’hui ça arrive moins.
Après avoir passé sa vie à réaliser des intégrales martiales affinées au fil de sa pratique avec Soke, Shiraishi nous restitue un art dont la finalité guerrière n’est plus perceptible à mon niveau. Je pense d’ailleurs qu’il n’y en a plus vraiment, ou disons qu’elle est complètement effacée derrière la recherche spirituelle. Il faudrait dériver de manière importante les principes évoqués pour retrouver des armes (qui seraient alors à ne pas mettre à disposition de n’importe quel ego…).
Il est pour moi l’essence du guerrier pacifique qui a su faire la paix jusqu’avec ses démons intérieurs. Probablement pas tous, mais « suffisamment ». Il exerce un peu en marge du Bujinkan.
Je suis sorti de ses cours à chaque fois régénéré et déshydraté, souvent frustré aussi de mon manque de compréhension / maitrise, et depuis peu avec tout de même des pistes à explorer pour les prochaines années. Il faut s’accrocher quand on est petit scarabée, mais ça vaut la peine.
J’ai manqué de disponibilité pour visiter les cours des grands maitres Noguchi, Pedro, Darren et Sakasai. Je ne peux donc pas en parler même si j’ai pu apercevoir leurs élèves et me faire une idée de l’arbre d’après ses fruits, ou disons de percevoir l’énergie dégagée par leur groupe.
Dans la lignée des quizz, je vous laisse deviner dans l’image suivante qui est qui pour moi parmi ces quatre sensei (toute référence à l’univers Marvel est parfaitement fortuite 🙂
Frédéric